Une image, une histoire # 8
Le moment du rendez-vous écriture de "En bateau, Lakévio".
J'ai eu un peu de mal avec cette image. Puis déclic : ça coulait de source !
Une image :
Jackie Knott
Un texte :
12 minutes. Le temps était chronométré à la minute près ; pas une de plus, pas une de moins.
Chaque matin, il disposait de 12 minutes exactement, assis sur ce banc, endroit stratégique pour surveiller les arrivées impromptues des visiteurs pouvant survenir de part et d’autre. Cela faisait quelque temps qu’il venait, matin après matin s’installer là, dans le virage descendant au plan d’eau du parc.
11 minutes. Chaque matin, il achetait son journal dès sa sortie du métro. Il le pliait précautionneusement et le rangeait dans son attaché case. Le vendeur du kiosque le connaissait bien maintenant. Parfois, ils échangeaient quelques mots plus personnels que ceux attendus dans une simple relation de vendeur à acheteur.
10 minutes. Cela faisait six ans qu’il travaillait dans cette boîte. Il s’y plaisait : il aimait son travail, ça lui était presque agréable et bien payé ; une chance par les temps qui courent, il en était conscient. En revanche, il appréciait beaucoup moins ses collègues…
9 minutes. Il avait très vite repéré la proximité du parc. Il se rappelait du premier jour où il en avait poussé la porte d’accès, une lourde grille verte qui s’était refermée derrière lui dans un bruit étouffé par une simple butée en caoutchouc.
8 minutes. Là, c’était l’horaire idéal. Il le savait pour en avoir testé d’autres. Il avait décalé sa pause pour profiter du banc, de celui-ci précisément, en embuscade. A cette heure-là, les enfants étaient à l’école, les retraités au marché et les touristes au pied de la Tour Eiffel.
7 minutes. Le chant des oiseaux pour seul compagnon sonore ; il appréciait ce silence de l’humanité. Plus près du bassin, c’était sympa aussi, le clapotis de l’eau, les cris des canards, les envols d'oiseaux après leur toilette. Mais la vue était trop dégagée à son goût.
6 minutes. Jamais personne de sa boîte n’avait troublé sa pause au jardin. D’ailleurs, il s’amusait beaucoup des rumeurs qui couraient à ce sujet et entretenait le secret de cette escapade. Même sa femme ne savait pas ; un temps pour lui, rien que pour lui. Son « jardin secret »…
5 minutes. Encore quelques semaines, et il devrait se replier dans son autre refuge à l’abri du vent, du froid et de la pluie ; ses quartiers d’hiver en quelque sorte. Mais le café calme était situé un peu plus loin : il avait même renoncé à prendre un café qui arrivait trop chaud et qu’il ne pouvait boire dans le temps imparti. Il prenait alors un panaché qu’on lui apportait sans qu’il ait même à le commander.
4 minutes. Ce soir, il rouvrira son journal, confortablement installé dans son fauteuil. Mais les enfants se chamailleront. Et sa femme lui racontera sa journée de ménagère sans relief mais à laquelle, elle attribuera maintes détails futiles pour lui donner de la substance. La lecture ne sera pas aussi agréable, il le sait.
3 minutes. Trois minutes pour arriver ici. Trois minutes pour repartir au boulot. Cela lui laissait 12 minutes de paix, loin de tous et de tout. Il restait même deux minutes sur son temps de pause réglementaire pour parer à l’imprévu.
2 minutes. Quelle quiétude dans ce parc où le bruit de la rue ne semblait pas pouvoir entrer ! Quelles nouvelles encore ce matin ! Le monde va bien mal…
1 minute. Il était temps de replier le journal. En pensées, il salua la nature « A demain ! » et regagna la sortie d’un pas alerte.
©Véro des Rêves de Véro