Une image, une histoire # 17
Le lundi, c'est écriture !
Une image :
Daniel Gerhartz
Un texte :
« Tiens bon, ma fille ! » Oui, il fallait tenir encore quelques minutes. Elle n’avait pas imaginé que ce puisse être aussi difficile. Il ne fallait pas lâcher maintenant ; c'eût été dommage.
Oui, elle mesurait combien il était inconfortable d’être assise ici, avec pourtant une tasse de délicieux café dans les mains. Dans ce bistrot réputé, fréquenté par la petite bourgeoisie montante, elle se sentait mal à l’aise dans ses vêtements en charpie. Elle avait attrapé un livret publicitaire pour se donner de la contenance. Elle tendait l’oreille pour écouter ce que le jeune couple pouvait dire sur son compte. Elle avait cru entendre des bribes de paroles où il était question de « la jeune SDF » assise dans le fauteuil. « Comment en est-elle arrivée là ? » demandait-elle. « Pourquoi l’ont-ils laissée entrer ? » répondait-il. Mais déjà, ils retournaient à leur conversation d’amoureux, de ceux seuls au monde qui font abstraction du reste de la terre. Oui, de ces amoureux qui n’ont besoin d’aucun mot pour se comprendre, emplis de joie rien que d’être là, côte-à-côte, à se dévorer des yeux. Ils étaient seuls au monde.
Elle aussi se sentait seule. Seule au milieu de tout ce monde. Mais pour d’autres raisons.
Elle tourna la tête de l’autre côté. Un miroir lui renvoyait son image ; il est vrai que son allure détonait dans ce décor. Elle soupçonnait le regard des clients qui l’observaient discrètement et se dérobaient dès qu’elle posait les yeux sur eux. Le garçon avait insisté pour qu’elle règle sa consommation sur le champ. Elle n’avait pas protesté, sortant de la menue monnaie de sa poche pour acquitter la somme due.
Combien de temps encore ? Elle but une gorgée de café. Ce n’était pas la première fois qu’elle venait dans un tel endroit. Mais aujourd’hui, c’était particulier…
Elle avait d’abord ressenti un mal-être. Un malaise à être assise là, avec l’envie de partir tant elle se sentait en décalage dans ce lieu pourtant public. Elle attirait les regards mais pas les bienveillants. Elle sentait l’animosité, le jugement dont elle était l’objet : elle les dérangeait. Peu à peu, cela devint plus insupportable encore, oppressant. Elle fut même au bord des larmes…
Pour la première fois de sa vie, elle faisait l’expérience d’une mise au ban, d’un rejet. C’était blessant, cruel de se sentir mise à l’écart ainsi. Le sentiment de ne plus avoir la valeur d’un être vivant, n’être qu’un sous être, voilà ce qu’elle ressentait en cet instant. De « seule », elle avait glissé peu à peu à « inexistante ». Bougeraient-ils même, si elle tombait au sol, inanimée ?
Elle jeta un regard à travers la vitrine. Les deux pimbêches d’Aglaé et de Sidonie la regardaient en riant. O.K. C’était le moment. Elle finit la dernière gorgée de boisson, préparant mentalement la suite. Elle avait relevé le défi : elle était entrée dans ce café, vêtue comme une pauvresse et était restée une demi-heure. Mission accomplie. La prochaine sur le liste à être mise à l’épreuve, était cette chipie de Sidonie, qui riait tant de l’autre côté de la vitrine ; elle n’allait pas la rater celle-là et lui proposer un défi à relever à la hauteur de la malheureuse expérience qu’elle venait de vivre elle-même.
©Véro des Rêves de Véro
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