Une image, une histoire # 7 2017
Le rendez-vous de chez Lakévio !
Tout d'abord, je tiens à rendre à César, ce qui lui appartient. L'histoire du chien condamné au silence est un conte vieux comme le monde, qui se raconte encore de nos jours. Cette traque ne prendra jamais fin, je le crains.
Une image :
Charles W. Hawthorne - Trois femmes de Provincetown
Un texte :
Portrait de famille comme quand nous étions petites. Mais l’eau a coulé sous les ponts depuis… Nous sourions à l’époque. Maintenant, nous prenons un air sérieux ; il est vrai qu’un deuil n’est pas l’endroit idéal pour laisser exploser sa joie des retrouvailles… Quoique…
La dernière pièce rapportée de la famille vient de partir : nous voilà à nouveau trois « jeunes filles libres ».
Eugénie est la seule de nous trois à avoir eu un mariage heureux ; deux esprits rigides menant une vie sage. Manque de chance, elle fut veuve jeune, son brave époux la laissant à la tête d’une entreprise florissante. La pauvre en a vu de drôles pour un esprit si rigoureux. Les lois ont évolué ; il y eut d’abord le rebut du martinet qui après avoir corrigé les fesses de gamins impétueux n’a eu d’autre choix que de devenir le meilleur ennemi du chien récalcitrant ! Puis les ligues des droits des animaux s’en mêlant, l’ustensile fut relégué à des pratiques dont Eugénie ne connaissait même pas l’existence mais qui avait permis de faire perdurer l’affaire grâce au dévouement du directeur. A qui lui demande en quoi consiste son activité, elle se contente de pincer les lèvres et de répondre qu’elle est « dans le commerce d’accessoires de domestication intime ».
Adèle, elle, a passé sa vie à traquer petits gris et bonshommes verts. Elle a toujours été l’excentrique de la famille. Par exemple, elle n’a jamais eu besoin de lunettes mais en a toujours porté une paire, dépourvue de verre correcteur ; ça lui donne une certaine prestance, pense-t-elle. Convaincue de l’existence d’une vie extraterrestre, elle a parcouru la terre dans tous les sens, traquant les manifestations étranges signalées aux quatre coins du monde. Ses idées farfelues ont eu raison de son couple ; ce qui l’avait amusé au début, devint vite un objet de détestation de la part de son époux. Tandis qu’elle courrait après la vie sur Mars et sur les planètes, il s’était laissé tenter par des lunes d’un autre genre : il avait un palmarès d’aventures à son actif, digne d’un explorateur de la voie lactée. Derrière son cercueil, il y eut un défilé de jeunes femmes qui conférèrent à cet enterrement une ambiance particulière.
Quant à moi, c’est à mon tour d’enterrer mon mari. Ma vie n’a été ni malheureuse ni passionnante. Mais je peux affirmer que je me suis ennuyée à l’attendre à la maison. L’ennui, oui, c’est ça. Parce que sa vie professionnelle le captivait tant qu’il en oubliait ma présence. Parce que je n’ai jamais envisagé d’aller travailler à l’extérieur ; nous avions les moyens de vivre convenablement comme ça, disait-il. Il m’a fallu du temps pour comprendre le vide de mon existence… Enfin, je retrouve mes sœurs : l’avenir est à nous.
En ce jour, je me dis que cette mort vient bien tardivement. J’aurais dû le tuer avant.
©Véro des Rêves de Véro
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