Une image, une histoire # 35
Le lundi, c'est le jeu proposé par Lakévio
Une image :
Spencer Gore - Cambrian Street - Richmond - 1913
Un texte :
Dans une semaine, jour pour jour, j’emprunterai cette route le cœur battant. La légère pente que j’arpente quotidiennement ne me semblera plus si ardue à grimper : je volerai presque, j’en suis certaine, ne prêtant aucune attention à ce qui se passera de part et d’autre de la route.
Les arbres semblent se livrer à un sourd affrontement ; ceux des propriétés sont déjà dénudés tandis que ceux du parc arborent de flamboyantes couleurs dans les feuillages encore touffus. C’est étrange… On dirait qu’ils reflètent mes états d’esprit.
Combien de souvenirs ! Toutes ces heures passées enfermée à la maison, dans une torture, celle de l’impuissance, cherchant une aide spirituelle ou autre pour accomplir mon œuvre. Je me revois, le regard triste et vide, scrutant par la fenêtre, les promeneurs dans le parc. Je les enviais tant. Je sentais l’influence bénéfique que cela pourrait avoir sur moi d'être parmi eux. Alors, parfois, je cédais à cette envie de les rejoindre même si je savais qu’il ne le fallait pas. Quelques minutes de liberté, à renifler la terre humide et l’humus, à entendre les cris des enfants et le chant des oiseaux, à fouler les allées de gravier… Parfois, je m’arrêtais même pour acheter une glace ou une crêpe selon la saison. Puis, mon regard se posait de l’autre côté de la rue, sur la fenêtre de la cuisine, là où il m’attendait et je ressentais une grande culpabilité à être là, heureuse alors que…
Je pensais : « Je la paierai chère cette escapade ! On ne vole pas du temps, comme cela, impunément ! » Alors, je cherchais à me justifier comme si cela pouvait lui importer ; j’avais besoin de sortir pour trouver l’inspiration. L’argument était un peu léger car je retrouvais ma chaise derrière la table de la cuisine misérable et retombais dans une tristesse incommensurable car malgré tout, il restait silencieux. Parfois même, j’étais au bord du désespoir, en proie à mes démons. Rien ne changeait. Jamais. Pourquoi est-ce que la vie du parc ne pouvait-elle entrer dans la cuisine ? Qui fallait-il invoquer ?
Et puis, mon obstination à m’asseoir à cette table, a porté ses fruits… Ou les balades ? Je ne saurais dire ni comment, ni pourquoi. Mais je me rappelle de cet instant où j’ai senti que je savais enfin. Je l’ai regardé et je lui ai dit d’une voix enjouée : « Tu vas voir ce dont je suis capable ! » Et je lui ai prouvé, jour après jour, semaine après semaine que j’étais douée pour cela, que je ne m’étais pas trompée.
Quand ce fut fini, il est parti. Il le fallait ; c’était dans l’ordre des choses. Dès l’instant où il a quitté la maison, je me suis sentie libre, avec un sentiment de toute puissance. C’était étrange ; passer aussi rapidement d’un état à l’autre, il faudra que j’analyse la chose.
J’espère que tous mes espoirs, tous mes rêves seront comblés. Ils m’ont convoquée dans une semaine, jour pour jour. Le manuscrit a plu ; je devrais avoir un bon accueil à l’académie… Pourvu que je rencontre la bonne personne, celle qui publiera le roman de ma vie…
©Véro des Rêves de Véro
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